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La lecture de la tribune "Pensées et réflexions" de mon honorable confrère le Dr Charles Perez, dans le Journal de l'AMIF N° 603 suscite quelques réflexions.
Sur la base de considérations démographiques, il suggère de revoir les règles de la transmission de la judéité et d'ouvrir la voie à la reconnaissance de la transmission par lignée paternelle (patrilinéarité) qu'il suppose avoir été la règle antique.
La première réflexion
concerne l'aspect démographique de sa tribune.
Constatant une courbe démographique de la population juive descendante,
il pense pouvoir la redresser en modifiant les règles ancestrales qui
définissent la judéité.
Il n'est pas sûr que ce soit en modifiant le Code de Lois que l'on redresse
une courbe démographique.
C'est un peu comme revoir la définition du chômeur, pour faire
baisser le nombre de chômeurs.
Les politiques diraient qu'il faut instituer des bonus aux familles nombreuses,
encourager les mariages des jeunes adultes, favoriser la scolarisation en milieu
juif, la fréquentation de mouvements de jeunesse idoines.
Les rabbins diraient qu'il faut renforcer les valeurs du judaïsme traditionnel,
insister sur la gravité des mariages mixtes.
Un homme, qui s’était
éloigné de la tradition, vint, un jour, interroger Rav ‘Haïm
de Brisk :
« Un sujet me préoccupe, » dit-il. « La Torah nous
interdit la consommation du porc. Je comprends la pertinence de ce commandement
à l’époque de la sortie d’Egypte ; nos ancêtres
séjournaient dans le désert et ce type de viande – qui est
déjà fragile – pouvait être dangereux pour eux. Aujourd’hui,
par contre nous avons des moyens techniques qui nous permettent de garder cette
viande à l’état sain. Pourquoi est-il encore interdit de
consommer cette viande ? ! »
Le Rabbin lui dit alors : « Dites-moi franchement, cette question vous
est venue à l’esprit avant ou après avoir consommé
du ‘Hazir – porc ? »
« Je reconnais en avoir déjà mangé, » répondit
l’homme.
« Alors, je suis désolé, » répliqua le Rabbin.
« Je ne peux répondre. Je ne suis capable de répondre qu’à
des questions, pas à des réponses. »
J'attirerai toutefois
l'attention de Mr Perez sur l'immense réservoir de juifs encore présents
dans les pays de l'ex URSS, et sur les diverses estimations de descendants des
tribus perdues qui se trouveraient à l'Est de l'Euphrate.
Mais là n'est pas mon propos.
En premier lieu, ce qui
me frappe est l'absence de références solides aux assertions de
notre correspondant.
Dommage pour un professionnel astreint aux rigueurs d'un exercice basé
sur des preuves reconnues de tous.
Il estime ainsi que le Deutéronome a été écrit sous
le règne du Roi Josias, négligeant un élément basique
rappelé par un autre médecin, Maïmonide qui statue que toute
personne qui nie que la Torah, même un mot ou une lettre, soit écrite
par Moïse sous la dictée de D.ieu, nie toute la Torah (Maïmonide,
Lois de la Techouvah, III, 8).
N'étant pas moi-même docteur de la Loi, je me garderai de jeter
l'anathème.
Mais qu'en est-il des quelques références sur lesquelles il voudrait
baser son raisonnement?
- Il prête à Deutéronome VI, 4 l'extrait
suivant: "l'accès au trône serait autorisé à
tout étranger pourvu que son père ou sa mère soient Israëlites";
Mon 'Houmach, au livre Devarim VI, 4 m'enseigne que Chéma Israël
Hachem Elokènou Hachem E'had" [Ecoute Israël …] Fâcheux
malentendu.
La meilleure référence sur le sujet serait à chercher dans
le Code de Lois de Maïmonide, Lois
des Rois, I, 4:
On ne nomme pas un Roi d'entre les convertis, même après plusieurs
générations, et il faut que sa mère soit du Peuple d'Israël,
comme il est dit: "tu ne pourras nommer sur toi un homme étranger
qui ne soit pas ton frère (Deutéronome XVII, 15)".
Ca n'a pas du tout la même odeur, même si mon honorable confrère
se sert de cette dernière référence biblique pour asseoir
un raisonnement dont il manque les prémisses.
- Citant à nouveau le Deutéronome au chapitre
VII, 3 et 4, l'auteur semble méconnaître ce même verset
qui enseigne précisément: "tu ne contracteras pas d'union
maritale avec eux; ta fille tu ne la donneras pas à son fils, et tu ne
prendras pas sa fille pour ton fils"
Singulière méthode que faire dire au texte l'inverse de sa signification.
Mais, faisons fi de références
bibliques, puisque selon Mr Perez elles ne sont pas d'origine, à D.ieu
ne plaise.
Quant aux références tirées des Evangiles, elles se passent
de commentaires, tout comme les références à l'époque
d'Hérode, où la vie royale ressemblait à Hollywood et au
casino de Monaco plutôt qu'à la Jérusalem biblique.
L'auteur n'apporte donc aucune preuve réelle que la patrilinéarité
était la règle à l'époque biblique.
Les circonstances qu'il prête à l'apparition de la transmission
du judaïsme en lignée maternelle ne sont appuyées par aucun
texte, aucun auteur historique documenté. Il s'agit de suppositions.
Nulle trace historique "qu'à cette époque pas de nouveaux
enfants juifs et beaucoup d'enfants considérés comme non juifs".
Nulle trace de ces femmes "bravant les interdits religieux". Nulle
trace que les Rabbins se soient apitoyés sur des courbes démographiques
pour infléchir des lois divines.
A ce propos, un enfant né d'un père non juif et d'une mère
juive n'a rien d'un bâtard ni même d'un mamzer. Il est à
l'exemple d'un converti un juif sans lignée. Il n'est ni Cohen ni Lévi,
ni descendant d'une des douze tribus., car cette noblesse est de transmission
paternelle.
A la différence d'un mamzer, il peut se marier avec tout descendant d'Israël.
La Torah nous en donne un exemple, le fils de Chlomit bat Divri, né d'un
Egyptien et d'une fille d'Israël de la tribu de Dan, et qui fut refusé
par la tribu de sa mère, car non descendant d'un fils de cette tribu
(Lévitique XXIV,10-13).
Il est inconcevable que les Rabbins, "dans un souci de charité"
envers ces enfants mal nés aient inversé la règle, excluant
de fait ceux qui auparavant auraient été considérés
comme des juifs bon teint.
Si la Torah donne certains pouvoirs décisionnaires aux Sages, ce serait
plus pour inclure que pour exclure des juifs et les priver - ou les dispenser-
de l'accomplissement des Mitsvot.
Tout au plus ils auraient inclus des enfants auparavant considérés
comme non israélites (selon Mr Perez).
A la recherche de preuves
de la transmission paternelle, Mr Perez semble méconnaître que
tous les juifs sont considérés comme ayant passé une conversion
le jour du Don de la Torah, et que les exemples antérieurs au Don de
la Torah ne sauraient rentrer dans le débat.
Ruth est le premier exemple valable d'une étrangère entrée
dans le Peuple Juif. Avec le bonheur que l'on sait puisqu'elle eut le mérite
de compter le Roi David dans sa descendance. Elle est aussi le modèle
de la femme convertie au delà du modèle couscous boulette, et
malgré toutes les difficultés qu cela put lui coûter.
Non que je dénigre le couscous, mais on devine facilement qu'il ne suffit
pas de cuisiner comme maman, de parler l'hébreu et "être meilleure
que toutes les juives que j'ai connues" pour être juive.
Si des enfants souffrent
aujourd'hui de difficultés d'intégration dans la communauté,
c'est vers leurs géniteurs qu'il faut se tourner. On ne peut pas brûler
des feux rouges, prendre des sens interdits, et rejeter la responsabilité
sur Celui qui a édicté un Code de lois.
Les portes de la conversion au judaïsme sont et resteront ouvertes, à
tous ceux qui manifestent un intérêt réel pour la Parole
de D.ieu, qui sont prêts à certains renoncements pour épouser
le Peuple Juif, accessoirement un conjoint juif.
En résumé,
Mr Perez n'est pas en mesure de prouver la patrilinéarité à
partir de textes bibliques, ne peut qu'émettre des suppositions reliant
(une soi disant introduction de) la matrilinéarité à des
causes hypothétiques.
La seule étude qui en vaudrait la peine serait de se pencher sur les
causes de la baisse de la fécondité en diaspora comme en Israël
et les moyens d'y remédier. Et revoir les moyens de renforcer le mariage
juif.
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