Nous sommes le
(depuis hier soir
jusqu'au coucher du soleil de ce soir
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Deux
émissaires entrèrent avec précipitation dans la maison
de Rav Mordekhaï Weizel-Rosenblatt (1837-1916), le vénéré
rabbin de la ville d’Ochmina en Lituanie. Leurs vêtements couverts
de poussière, leurs chaussures boueuses et la sueur qui coulait sur leurs
visages attestaient qu’ils avaient tout mis en œuvre pour arriver
très rapidement.
- D’où venez-vous ? demanda le Rav, au visage bienveillant mais
étonné.
Tous deux murmurèrent le nom de leur village, très loin en Russie
et expliquèrent sans cacher leurs larmes :
- Nous sommes victimes d’une fausse accusation de meurtre rituel ! Trente-six
Juifs ont été arrêtés et devront répondre
d’un crime qu’ils n’ont pas commis ! Un enfant chrétien
a été tué et la populace prétend que ce sont les
Juifs qui avaient besoin de son sang pour l’incorporer aux Matsot de Pessa’h
! Si ces Juifs sont condamnés, cela entraînera un pogrome terrible
contre toute la communauté ! Les journaux locaux sont déjà
remplis de sous-entendus et attisent la haine…
Le Rav se contenta d’un geste de la main, comme pour annuler toute l’histoire
:
- Il n’y aura pas de pogrome, les accusés seront innocentés
! Les véritables meurtriers seront retrouvés et châtiés
comme ils le méritent !
Les deux émissaires se sentirent immédiatement rassurés
par la tranquille assurance du Rav, le remercièrent profusément
et reprirent la route pour rapporter au plus vite la promesse du Rav aux membres
de leur communauté.
A peine étaient-ils sortis qu’un jeune homme, Youdel Ostrowsky
frappa à la porte du Rav : le malheureux venait de recevoir une convocation
pour être enrôlé dans l’armée du Tsar. Il supplia
le Rav de lui donner un moyen miraculeux d’échapper à cette
redoutable perspective mais le Tsadik déclara :
- Tu ne seras pas exempté de la conscription !
Youdel faillit s’évanouir : les conditions du service militaire
étaient cruelles, surtout pour un Juif qui serait persécuté
par ses supérieurs et ses "camarades". Les yeux remplis de
larmes, il entendit encore le Rav ajouter :
- Mais avant de te présenter aux autorités militaires, tu devras
t’exercer au noble métier de Mohel auprès de deux experts
en la matière, Rav Abba Lasker et Rav Hirshele !
Youdel n’avait pas encore digéré l’étendue
de son malheur et, en plus, le Rav lui demandait de mettre à profit les
semaines qui restaient jusqu’à son incorporation pour apprendre
les lois et la pratique de la circoncision ! Mais pourquoi ? En bon ‘Hassid,
Youdel n’eut même pas l’idée de poser une telle question
: le Rabbi avait parlé, on écoutait sa parole, un point c’est
tout ! Il se mit immédiatement à l’œuvre et étudia
attentivement aussi bien les lois théoriques que la pratique.
Quand il se présenta devant la commission chargée de l’incorporer,
on lui remit son uniforme puis on l’envoya dans la ville de garnison.
Youdel réfléchit : « Je me dirige vers l’inconnu.
Certainement, je vais souffrir de la faim car je tiens à respecter les
lois de la cacherout : je vais prendre au moins une dernière fois un
bon repas dans un restaurant cachère ! ». Puis, après ce
dernier repas digne de ce nom, il se rendit vers la base et chercha le colonel
chargé des nouvelles recrues.
- Ostrowsky ! Pourquoi êtes-vous en retard ? hurla le colonel puis il
se radoucit : Bon, au moins vous êtes là. Le général
est venu tout à l’heure et a demandé si le soldat juif était
déjà arrivé…
Abasourdi, Youdel fut conduit auprès du général : certainement
celui-ci allait le rudoyer… Mais d’emblée, dès que
la porte fut fermée derrière eux, le général lui
demanda :
- J’ai entendu que tu es Mohel…
- C’est exact, répondit Youdel de plus en plus surpris.
- Voilà, écoute bien : Ma femme est juive et a donné naissance
à un fils. Ces derniers jours, elle se réveille le matin toute
tremblante : elle rêve chaque nuit d’un vieux Juif à la barbe
blanche qui lui ordonne de faire circoncire son fils et elle a exigé
que je lui trouve un Mohel au plus vite ! Je lui ai promis de chercher autour
de moi tout en me moquant intérieurement de cette étrange requête
d’un autre temps. Mais hier, après mon travail, je suis rentré
chez moi et j’ai aperçu un vieux Juif à la barbe blanche
dans ma maison… Je lui ai demandé pourquoi il harcelait ma femme
et il répondit d’un ton ferme : « Je veux que son fils soit
circoncis ! ». De plus en plus étonné, j’expliquais
qu’il m’était impossible de trouver un Mohel dans cette ville
de garnison et il répliqua : « Parmi les nouvelles recrues, il
y a un Juif, Ostrowsky, qui est Mohel ! ». J’étais fatigué
et énervé, j’avais l’habitude de donner des ordres
et non d’en recevoir : j’ai pris mon pistolet, je l’ai pointé
sur lui mais la silhouette a tout simplement disparu ! J’ai compris qu’il
se passait quelque chose d’anormal, j’ai pris peur et je suis retourné
immédiatement à la base pour vérifier qu’il y avait
bien un certain Ostrowsky qui était Mohel. Assez parlé, suis-moi
!
Youdel suivit le général, examina l’enfant et procéda
à la Brit Mila puis rendit l’enfant à sa mère.
Alors qu’il attendait quelques instants pour s’assurer qu’il
n’y avait pas de complications, il aperçut sur une table un journal
qui traînait : le gros titre évoquait sans ambiguïté
le « crime odieux » perpétré sûrement par des
Juifs pour la cuisson de leurs Matsot. Ceci lui fit monter les larmes aux yeux
et, dès le retour du général, Youdel lui démontra
l’absurdité de ce mensonge : « Demandez à votre femme
juive si jamais elle a observé la cuisson des Matsot dans la maison de
ses parents, elle confirmera que celles-ci ne contiennent que de la farine et
de l’eau ! ».
Puis, s’adressant à la jeune mère, Youdel insista : «
Comment pouvez-vous rester insensible au sort de nos coreligionnaires ? Vous
savez bien combien cette accusation est mensongère mais porteuse de terribles
risques de pogrome ! ». L’âme juive de cette femme fut ébranlée.
Elle pressa son mari d’intervenir dans le procès et de faire jouer
toutes ses relations et le poids de son autorité. Il s’impliqua
effectivement dans l’enquête, se rendit en personne au tribunal,
réfuta les arguments du procureur, décontenancé par cette
plaidoirie inattendue et bien argumentée. Finalement, les Juifs furent
acquittés et on retrouva le coupable qui n’était autre que
le serviteur du prêtre local.
Inutile de préciser qu’à la suite de ces péripéties,
le général veilla à s’occuper personnellement du
bien-être de Youdel qui n’eut pas à souffrir des conditions
de son service militaire.
Alors pourquoi demander pourquoi ?
Hadrat Mordekhaï -
Publié dans Si’hat Hachavoua N° 1765
Traduit par Feiga Lubecki
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Aharon Altabé
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