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Un jugement renversé
Un coup frappé à la porte, peu
après minuit, à Ilinka, un village de la Russie soviétique
de 1928 près de Wronizh … Surmontant son inquiétude, Reb Zalman
Lieberman ouvrit la porte et aperçut le gouverneur du village, un communiste
convaincu nommé par les instances dirigeantes du Parti. " S’il
m’avait voulu du mal, pensa Reb Zalman, il aurait été accompagné
par des soldats! "
Le gouverneur entra, regarda à droite puis à gauche, s’assura
qu’il n’y avait aucun témoin gênant et murmura : "Reb
Zalman, voici une mission dangereuse et qui doit rester secrète. Comme
vous le savez, je suis d’origine juive et ma femme, juive également,
a mis au monde un petit garçon voilà une semaine. Venez chez moi
demain, pour le circoncire; mon père sera présent et s’occupera
de tout. Je ne veux pas être impliqué personnellement dans cette
affaire".
Reb Zalman avait été envoyé dans ce village par le
Rabbi Rachab pourr veiller au bien être spirituel des Juifs de la région.
C'était lui qui se souciait que les matsoth soient cachères pour
Pessa'h, que la viande soit abattue correctement, que les enfants soient circoncis
comme il le faut. Il accepta en silence et le gouverneur disparut dans la nuit.
Le lendemain, peu avant la tombée de la nuit, comme convenu, Reb
Zalman se rendit discrètement dans la résidence du gouverneur
où l’attendait le grand-père de l’enfant. Rapidement il effectua
la circoncision sur le nourrisson, indiqua au grand-père comment procéder
pour les pansements et disparut tout aussi discrètement dans l'obscurité
de la nuit.
Deux jours plus tard, on entendit des cris dans la maison du gouverneur :
celui-ci venait de "découvrir" que "quelqu’un" avait
eu l’audace de circoncire son fils en son absence! L’histoire se répandit
comme une traînée de poudre et, quelques heures plus tard, toute
la famille du gouverneur fut convoquée au poste de police.
L’enquêteur ne crut pas un mot des paroles du gouverneur : son
père aurait ainsi procédé à la circoncision sans
son accord? Allons donc! "Vous avez intérêt à avouer
la vérité! Sinon…"
Atterré, le gouverneur ne trouva rien de mieux que d’accuser Reb
Zalman : "C’est lui qui a procédé à la circoncision!
Il a agi en cachette avec mon père, et après, il a osé
me demander de le rémunérer! Je n’ai pas osé me plaindre
de lui de peur qu’on ne m’accuse de ne pas savoir protéger ma propre
famille! "
"Ah, ah, répliqua l’enquêteur avec un sourire sarcastique,
vous aussi vous avez été corrompu! "
Penaud, le gouverneur sortit tandis que l’enquêteur jubilait tout seul :
"Exactement l’occasion que j’attendais. Maintenant nous pouvons organiser
en grand le procès de ces pratiques religieuses d’un autre âge!
"
Le lendemain, Reb Zalman entendit de nouveau frapper à sa porte,
mais cette fois-ci des policiers lourdement armés l’emmenèrent,
sans un mot, en prison…
* * *
Un juge fut spécialement envoyé de Moscou pour juger cette affaire.
Tout était réuni pour un grand procès exemplaire: un accusé
juif, une pratique contre révolutionnaire, un juge spécial, un
écho extraordinaire dans le public. Les chances de Reb Zalman de s'en
tirer étaient au plus bas.
Le jour du procès, la petite salle d'audience de Wronizh était
remplie. Les juifs de Ilinka étaient venus, attristés pour Reb
Zalman et inquiets de son sort. Silencieusement, ils récitaient des chapitres
entiers des Psaumes pour le mérite de leur ami.
On fit entrer Reb Zalman, chargé de lourdes chaînes et accompagné
de policiers impressionnants. Amaigri, il n’en paraissait que plus déterminé
à défendre sa foi. Toute l’assemblée se leva à l’entrée
des juges. Immédiatement, le procureur présenta l’acte d’accusation :
"Votre Eminence, Messieurs les juges, Mesdames et Messieurs, nous avons
à juger aujourd’hui un cas extrêmement grave. Voici un homme qui
s’est attaqué à un enfant, que dis-je un nourrisson et lui a infligé
une blessure qui aurait pu être fatale. De plus, il a enfreint notre juste
loi soviétique qui prône la liberté de culte et qui interdit
toute forme de coercition religieuse. Les plus grandes sommités médicales
s’élèvent avec véhémence contre cette opération
barbare qui met en danger la vie même de l’enfant, avec risques d’anémie
et même atteinte au cerveau par manque d’irrigation sanguine suffisante!
Disons-le tout met : cette opération digne du Moyen Age risque de
rendre un nourrisson taré pour le reste de sa vie!
"De nombreux philosophes se sont par ailleurs élevés contre
ce non-respect de la liberté et du droit de l’homme le plus élémentaire
par cette atteinte aux facultés physiques de l’enfant et le dommage psychologique
irréversible qu'il lui entraine par une mutilation aussi atroce.
C’est pourquoi, je vous adjure de prononcer à l’encontre de ce criminel
qui a attenté à la vie d'un enfant la seule sentence qu’il mérite:
la peine de mort! "
Satisfait de sa plaidoirie, le procureur se rassit, sous les applaudissements
de la foule pour laisser la place à l'avocat commis d'office pour défendre
l'accusé. Sa plaidoirie semblait bien timorée après une
telle accusation.
L’assemblée était sous pression. On attendait du juge qu'il termine
solennellement la grande messe par la sentence tant attendue. Les juifs de Ilinka,
si peu nombreux au milieu de la foule excitée se sentaient bien mal à
l'aise. Et craignaient que rien ne puisse sauver leur Reb Zalman de la pendaison.
L'accusateur se frottait les mains. Après une telle affaire, il ne pourrait
avoir que de l'avancement!
Le juge attendit que le calme se rétablisse puis se tourna vers Reb Zalman :
"Qu’as-tu à dire pour ta défense?"
Reb Zalman, pâle, se leva. "Votre Honneur, voici trente ans que j’effectue
des circoncisions, et j'ai toujours eu le sentiment d'agir pour le bien. Je
n’ai jamais vu parmi les enfants que j'ai circoncis qu'ils en aient gardé
une tare physique ou psychique."
Reb Zalman était au comble de l'émotion. Il fit une pause, respira
un grand coup puis reprit: "Ici même sont assis des gens que j'ai
circoncis il y a vingt ou trente ans. Le commissaire politique par exemple,
ou le procureur. Ils sont là devant nous, en parfaite santé et
remplissent leurs fonctions à merveille, comme tous ont pu voir. Je les
ai circoncis de mes propres mains à 8 jours, et je ne pense pas qu'ils
en aient été amoindris. L'un d'entre eux ou un membre de l'assemblée
en doute-t-il?"
Reb Zalman se rassit. La salle était pétrifiée. Le commissaire
politique, le procureur, l'enquêteur, le juge, tous étaient atterrés.
Puis un murmure parcourut l'assemblée, qui avait été retournée
par les paroles simples de Reb Zalman, sinon amusée d'un tel culot envers
de respectables personnages de l’Etat…
Reb Zalman fut libéré le jour même.
D'après une traduction de Feiga Lubecki
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