Mise à jour - Traduction Aharon |
Une alliance renouvelée.
Mon
père, le 'Hassid Reb 'Hanokh Hendel Galperin, était Cho'het Mohel
dans cette Russie où il fallait une bonne dose de don de soi pour persister
dans son judaïsme et une rations supplémentaire pour exercer ces
activités si dangereusement "contre révolutionnaires". Pour lui,
la phrase "c'est pour toi que nous risquons notre vie tous les jours" n'était
pas qu'un simple passage du rituel. C'était son pain quotidien, parfois
même le seul.
Son éducation 'hassidique, selon les préceptes des Rabbis de 'Habad
avait ancré en lui ce sens du don de soi jusqu'à l'extrême
pour ne pas perdre un fil des enseignements de notre sainte Torah et un détail
de leur application dans la vie de tous les jours par la pratique des Mitsvot,
commandements divins. Il ne perdait pas une occasion de faire partager sa joie
d'être juif et inciter ses compagnons à garder vivante la flamme
du judaïsme malgré l'oppression soviétique, malgré
le danger permanent dans lequel il vivait.
Un jour, une femme âgée vint le voir. 'Hayah Basha était
la veuve de Reb Avraham Yaffé, un 'Hassid exemplaire. Elle venait inviter
mon père à circoncire son petit-fils. Le fils, Avreshé,
n'avait pas suivi la voie de ses parents. Les sirènes communistes l'avaient
détourné dès sa jeunesse, et il avait grandi dans les rangs
de la jeunesse communiste. Il avait grandi et avait franchi les divers degrés
de la nomenklatura au point de devenir un personnage clé de l'appareil
communiste local. Un homme incontournable, membre de diverses commissions et
comités. Certes, à la différence de beaucoup de parvenus,
il n'avait pas renié ses origines juives, et on le voyait chaque année
faire une brève apparition à la synagogue le jour de Kippour.
Sa femme était également juive. Lle venait donc d'accoucher d'un
garçon, que personne n'aurait songer à circoncire si 'Hayah Basha
ne s'en était pas mêlée. Elle avait été jusqu'à
menacer son fils de se tuer s'il ne faisait pas la Brit Milah du bébé.
Il mit deux conditions pour laisser son fils être circoncis: que la Brit
Milah se fasse en secret, et qu'elle se fasse en son absence. Pour Avreshé,
une circoncision si elle venait à être découverte c'était
la fin. La fin d'une lente et patiente ascension vers la réussite sociale,
la déchéance et peut être même plus… Il savait comment
le pouvoir communiste s'arrangeait avec les gêneurs et les empêcheurs
de tourner en rond
Mon père accepta avec joie la mission qui lui était confiée.
Une joie d'autant plus grande qu'il avait connu et estimé Avraham Yaffé,
et savait que le grand-père n'aurait pas reculé devant le danger
pour accomplir cette Mitsvah. Rendez vous fut pris, et mon père "récolta"
en route deux amis pour se faire aider. L'un tiendrait l'enfant et l'autre les
instruments
L'enfant était déjà emmailloté selon l'usage pour
la Brit Milah. Mon père sortit de sa trousse le Kitel (robe ou blouse
blanche) qu'il avait l'usage de mettre à Kippour et lors d'une Brit Milah,
et un bonnet blanc, et se mit au "travail".
Seule 'Hayah Basha était présente à leurs côtés.
La maman attendait dans la pièce attenante, car elle aussi devait être
"absente" lorsque la circoncision se faisait. Lors des bénédictions
qui suivent la circoncision, il fallut lui donner un nom hébreu, chose
que de toute évidence les parents n'avaient pas l'intention de faire.
Il fut nommé "Israël" du nom de Rabbi Israël Baal Chem Tov.
N'est ce pas lui qui avait guidé des générations de juifs
à aimer leur prochain et se donner pour le bien d'autrui?
Ils
s'assirent ensuite pour partager le "repas de Mitsvah" et goûter la vodka
que 'Hayah Basha leur avait mise sur la table. Goûter? Verre après
verre, la joie montait, et ils commencèrent à chanter. La nuit
était tombée, et les 'Hassidim étaient encore là
à partager l'émotion d'une Mitsvah de plus, la joie d'encore un
verre de plus.
Des coups frappés sur la porte vinrent les tirer de leur extase…
'Hayah Basha se dressa, le cœur pincé.
Avreshé parut dans l'encadrure de la porte. Son regard errait d'un côté
puis de l'autre. Il n'aurait pas dû être là, il était
perdu…
"Heureux papa, viens t'asseoir avec nous, viens dire "le'Haïm" pour la
Brit Milah de ton fils!"
Avreshé s'approcha de la table d'un pas hésitant et s'assit à
côté de ces 'Hassidim qu'il combattait tous les jours.
Lorsqu'il porta à sa bouche le verre qu'on lui tendait, mon père
l'arrêta, lui mit une kippa sur la tête et lui rappela la bénédiction
à dire: "chéhakol niyah bidvaro - que tout vient de Lui".
Les 'Hassidim se remirent à chanter.
" Avreshé, te souviens tu du 'Hassid Reb Avraham Yaffé, de sa
prière, de son visage majestueux?
Oui, je me souviens"
Quelques verres plus loin, Avreshé se mit à parler. De ses années
d'étude au 'Héder, de ses compagnons d'étude, des heures
de prières de son père. Il ferma les yeux et récita de
longs passages des prières, avec le ton et l'émotion que son père
y mettait. "Que le Miséricordieux pardonne l'erreur…" "Regardes depuis
le ciel comment nous sommes devenus la risée des peuples …"
Il ne se retentait plus de pleurer. 'Hayah Basha aussi.
Une émotion intense saisit tous les présents. L'aube approchait,
mais nul ne songeait à rompre ces instants où une âme se
réveille, s'éveille à son Créateur. Mon père
ne voulait surtout pas qu'un tel instant s'évanouisse sans laisser de
trace.
" Avreshé, nous n'arrivons pas à la semelle du 'Hassid Reb Avraham
Yaffé, mais tu dois savoir que malgré sa grandeur, son âme
n'a pas de repos tant que tu n'as pas changé ton mode de vie. A partir
de maintenant il faut que tu mettes les Tefillin, que tu observes Chabbat, que
tu cesses de manger des nourritures non cachères. Es tu prêt?"
Avreshé accepta tout ce que mon père lui ordonna. Il était
au comble de l'émotion et se leva pour exprimer ce bouillonnement intérieur.
Il se mit à danser avec mon père.
"Juif je suis né, Juif je resterai!"
Avreshé réussit peu à peu à se débarrasser
de toutes ses fonctions publiques. Ce fut la seule façon de pouvoir réaliser
ce qu'il s'était engagé à faire, à devenir. A redevenir.
L'entrée du petit Israël dans l'Alliance d'Avraham avait aidé
le père à retrouver le chemin du Peuple d'Israël.
Souvenirs du 'Hassid Reb Chlomoh Galperin
Paru dans "Si'hat Hachavoua" n° 819, Tichri 5753
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