Une Brit Milah dans les geôles de l'Inquisition.

Cécil Roth
Histoire des Marranes
Chapitre "Martyrs d'une foi"
Edition Liana Lévi.

Un demi-siècle plus tard (vers 1670), il y eut en Espagne un cas semblable à celui de frei Diogo da Assumpçao. Don Lope de Vera était le fils de don Fernando de Vera y Alarcon, un gentilhomme de San Clemente, près de Cuenca. Il était d'origine gentille d'une "pureté" irréprochable, non "souillée" de sang juif.
De nature studieuse, il avait été envoyé dès l'âge de quatorze ans à l'université de Salamanque. Parmi d'autres langues, il avait étudié l'hébreu avec un tel zèle que, dès l'âge de dix-neuf ans, il postulait pour une chaire universitaire. Sans aucune influence extérieure, la pratique des Écritures l'avait porté vers le judaïsme. Il tenta donc tout naturellement de gagner son frère à ses nouvelles idées. Ce dernier, un catholique dévot, le dénonça à l'Inquisition. Il fut arrêté le 24 juin 1639 à Valladolid. Après une courte période d'hésitation, il annonça aux inquisiteurs qu'il désirait être juif et épouser leurs croyances car toutes les autres religions étaient fausses. On le garda en prison pendant cinq ans, au cours desquels on tenta de regagner son âme à la foi catholique. Mais en vain.
Torture sous l'inquisition espagnoleDans sa cellule, il parvint à se circoncire lui-même avec un os et s'abstint de manger de la viande. Puis il changea son nom en Judah le Croyant et ne répondit plus à aucun autre nom. Lorsque d'éminents théologiens catholiques venaient le voir pour le convaincre de son erreur, il refusait de les rencontrer malgré des séances de flagellation, et n'admettait de présenter ses arguments que par écrit. De plus, il refusait de se servir d'une plume d'oie, objet d'origine animale, donc interdit.
Pendant longtemps, lorsque les inquisiteurs lui rendaient leur visite hebdomadaire, les seuls mots qu'il prononçait étaient: "Viva la ley de Moses!"
Au bout de cinq ans de prison, on finit par renoncer à le convaincre. Il mourut à vingt-six ans, brûlé vif et fidèle à sa nouvelle foi, au cours de l'autodafé du 25 juillet 1644 à Valladolid. Tandis qu'on le conduisait à la mort à travers les rues de la ville, il récitait des prières en hébreu, au grand étonnement des spectateurs; et au milieu des flammes, il chanta, dans un dernier souffle, le psaume "Vers Toi, Seigneur ,j'élève mon âme." Il expira en prononçant ces paroles.
Sa fin héroïque fit grande impression. Comme pour frei Diogo, poètes et historiens marranes le célébrèrent dans leurs écrits et son martyre devint l'un des épisodes les plus connus de l'histoire de l'époque. L'inquisiteur Mirezo écrivit à la comtesse de Monterrey: "C'était le plus grand hérétique juif que l'Église ait jamais eu." Mais en même temps, il ne pouvait cacher son admiration devant sa fermeté à l'heure de la mort. Longtemps après, un jeune homme jugé par l'Inquisition de la même ville prétendit avoir eu une vision de frei Diogo après sa mort, monté sur une mule et rayonnant de la sueur qui coulait de son corps sur le quemadero.

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