Traduction Aharon

L'étrange invité du Rabbi.

Un des riches 'Hassidim du Rabbi Tséma'h Tsédek avait l'habitude de se rendre souvent chez le Rabbi. Il savait apprécier le bonheur de se trouver à proximité du Rabbi, et avait les moyens de le faire. C'était un personnage connu dans le Beth Hamidrach de Loubavitch.
Chaque fois qu'il lui en prenait l'envie, il louait les services d'un des cochers de sa ville, et s'en allait tranquillement voir le Rabbi. Non pas comme tant d'autres qui marchaient des jours et des semaines pour mériter de rencontrer leur Maître.
La visite qu'il fit cette fois aurait pu être une visite de routine. Mais le Rabbi en avait dévidé autrement.
- "Avec quel cocher es-tu venu cette fois?"
Surpris, le 'Hassid répondit au Rabbi. Le Rabbi paraissait enfoncé dans ses pensées.
- "J'aimerais que la prochaine fois tu viennes avec le cocher Yéra'hmiel qui demeure dans ta ville…
Notre homme était de plus en plus surpris. Il faillit même hausser les épaules, mais une demande du Rabbi était un ordre, et il savait que quelque chose se cachait sous cette demande anodine.
Il faut croire que cette demande suscita son voyage suivant, quelques semaines plus tard.
- "Yéra'hmiel, veux-tu m'emmener à Loubavitch? Nous y resterons quelques jours, puis tu me ramèneras ici." Yéra'hmiel eut vite fait son compte et accepta l'affaire mirifique que lui proposait le 'Hassid.
A peine arrivé, le 'Hassid fut reçu par le Rabbi.
- "Rabbi, j'ai accompli votre sainte demande, et Yéra'hmiel se trouve à Loubavitch!"
Le visage du Rabbi exprimait une intense satisfaction.
- "Demande-lui donc de me visiter, j'ai très envie de le voir!"
Yéra'hmiel était certes un homme simple, mais aussi fort têtu. Lorsque son client lui proposa de se rendre chez le Rabbi, il refusa net.
- "Qu'ai-je à voir avec ton Rabbi? Je n'ai rien à lui dire, et n'avons rien de commun!"
Le 'Hassid en fut fort irrité. Refuser une demande d'un Tsaddik? Sa volonté c'est la volonté du Bon D.ieu, sans aucun doute. Il se fit un devoir de forcer Yéra'hmiel à accepter.
- "Yéra'hmiel, si c'est ainsi tu peux t'en retourner sans moi, tu n'as plus rien à faire ici. Je trouverai un cocher en temps utile".
Notre cocher savait compter et comprit tout de suite la perte sèche qu'il risquait à refuser les bizarreries de son client. Il se leva et suivit le 'Hassid.
Le Tséma'h Tsédek le reçut avec une grande joie et des marques d'attention.
- "Chalom Aleikhem" Reb Yéra'hmiel!. Il s'entretint longuement avec lui de choses et d'autres, et l'entrevue se conclut par une invitation:
- "Je tiens à t'inviter à un repas de fête que nous ferons demain soir chez moi, si D.ieu veut. Tu en seras l'invité d'honneur".
Yéra'hmiel … refusa à nouveau. Il fallut toute l'insistance et les menaces de son client pour qu'il accepte de se rendre à l'invitation du Rabbi. Le Rabbi appela la Rabbanit pour lui demander de préparer un repas de fête pour le lendemain.
La nouvelle se répandit dans le village de Loubavitch. Le Rabbi avait d'abord demandé que cet inconnu vienne à Loubavitch, puis avait exigé qu'il "rentre" chez le Rabbi, ce qui n'est pas donné au tout venant, et voilà qu'il l'avait invité à un repas de fête un banal jour de semaine!. Les plus experts conclurent qu'il ne pouvait que s'agir d'un des 36 Justes sur lequel le monde repose, et son se mit à l'observer. Les plus audacieux tentèrent d'entamer une discussion avec lui. On eut vite fait le tout du personnage. Un cocher, un simple cocher, rien de plus. Il "urgeait" pourtant de savoir pourquoi il avait mérité tant de proximité avec le Rabbi. On le fit "passer à table".
- "Tu sais certainement pourquoi le Rabbi te marque tant d'affection!"
Yéra'hmiel haussa les épaules, et protesta qu'il n'y comprenait rien. Mais les 'Hassidim étaient têtus, et il dut leur raconter sa vie. Ce n'est qu'après une longue discussion qu'il leur raconta l'histoire suivante.

"Je suis un simple cocher. Parfois, mes courses m'emmènent dans des villages reculés, où résident peu de juifs. Il m'est arrivé de visiter des endroits où il n'y a qu'une seule famille juive; complètement isolée de toute communauté. Pas de minyan, pas de synagogue qui mérite ce nom, mais ce qui m'a le plus peiné, c'est le manque de Mohel. Des enfants peuvent rester des semaines ou des mois incirconcis jusqu'à ce qu'un Mohel passe par là et que l'enfant devienne pleinement juif.
Je ne suis pas un érudit, je ne suis pas un responsable communautaire, mais j'ai décidé de faire quelque chose. J'ai appris à circoncire les enfants, et au cours de mes voyages j'ai eu de multiples occasions de délivrer des familles de la peine de ne pas avoir de Mohel.
Il y a quelques mois, au cours de la traversée d'un forêt, j'ai été surpris par des cris et des pleurs venus de nulle part. Je me suis arrêté, et je suis parti, guidé par les pleurs, à la recherche de leur origine.
Non loin du sentier, j'ai aperçu une baraque d'où sortaient les pleurs. Quel drame! A l'intérieur, une femme assise par terre, en larmes, à côté d'un superbe nourrisson entouré de chiffons. Non loin, le père de famille gisait sur un lit, à l'agonie. Il n'était pas difficile de comprendre ce qui se passait, mais j'ai essayé de calmer la maman, et de savoir la cause de son malheur.
-"Nous venons d'avoir un garçon, et c'est aujourd'hui le huitième jour. Mon mari est très souffrant et il n'a pas pu se rendre en ville pour amener un Mohel."
J'ai tenté de la rassurer, lui expliquant que j'étais Mohel, que j'avais mes instruments avec moi, et que et que je vais m'occuper de tout. Pour la maman, j'étais un ange tombé du ciel pour régler son problème, et elle parvint à se calmer.
En quelques instants, tout était prêt. Il ne manquait plus qu'un … Sandak! Dans son état, le père était incapable de se lever, et à plus forte raison de tenir l'enfant durant la circoncision.
Je suis sorti et revenu sur la route pour tenter de trouver un juif qui accepterait de tenir l'enfant.
Le soleil allait se coucher et j'étais encore là en train d'attendre mon Sandak! Quelle déception pour moi. Tout aurait pu si bien se passer, et il ne manquait qu'un homme!
Tout d'un coup j'aperçut l'individu que je cherchais. Un homme venait de surgir d'entre les arbres, et mon cœur se mit à palpiter. Il avait bien une tête de juif, certes à la démarche bizarre, mais quel juif! Une belle stature, une belle barbe qui venait encadrer une visage fin aux yeux rayonnants.
Je courus vers lui pour lui expliquer la situation et le besoin que j'avais de sa présence.
Il ne prit même pas la peine de s'arrêter pendant que je lui parlai. Sans un mot, il poursuivit sa route d'un pas tranquille. Je n'allais pas laisser passer une Mitsvah comme celle là à cause de cet individu, et j'ai essayé de l'attraper, mais il était bien plus costaud que moi et me jeta au loin. Je me mis à le supplier de s'arrêter quelques instants au moins pour m'aider à accomplir la Mitsvah de la Milah. Il s'arrêta, me fixa droit dans les yeux quelques instants, puis acquiesça de la tête.
Au comble de ma joie, je pus circoncire l'enfant dans les dernières minutes de la journée. Mon "invité" étant pressé, je lui fit signe qu'il pouvait partir.
- "Qu'est ce que tu me racontes? D'accord on a fait la Brit Milah, mais maintenant il faut faire le repas de la Brit Milah comme cela se fait chez tous les juifs!"
Il n'avait donc pas fini de me surprendre. C'était certainement un vagabond qui venait de trouver une bonne occasion de se remplir le ventre. J'avais effectivement quelques provisions dans mon coche, et je les rapportai, pour sa plus grande satisfaction. La maman avait déjà mis une nappe blanche sur la table, et nous fîmes "netilat yadaïm" pour commencer le repas.
"Tss! C'est un repas de Brit Milah, pourquoi le papa ne vient-il pas s'asseoir avec nous?"
Décidément, il n'avait rien compris! Je lui montrai du doigt la couche du père, agonisant. "Tu t'imagines vraiment qu'il va s'asseoir?"
L'invité se leva, s'approcha du père et le saisit par le bras. "Lèves toi!".
Je n'eus pas le temps de comprendre ce qui se passait que le père était debout devant nous complètement guéri.
Ce fut un véritable repas de fête. On a mangé dans la même assiette de mes petites provisions, bu, chanté des louanges à la gloire d'Eliahou l'ange de la Brit Milah. Après les actions de grâce, nous nous séparâmes.
Ce n'est qu'après son départ que je réalisai que j'aurai du le remercier de s'être associé à la Milah, et le questionner sur cette surprenante guérison du père. Mais il avait déjà disparu, de la maison, de la clairière, et de la route. Je ne l'ai pas revu depuis, mais son visage reste gravé à mes yeux jusqu'à aujourd'hui."

Yéra'hmiel avait terminé son étrange histoire.
Le lendemain, Yéra'hmiel se rendit chez le Rabbi Tséma'h Tsédek, pour un banquet. La table était remplie de succulents plats de viande, de poisson, et autres gourmandises. Le Rabbi siégeait en bout de table et Yéra'hmiel était assis à ses côtés. Tous les proches du Rabbi étaient là, fort étonnés de cette magnificence pour un jour de semaine, et de la place donnée à Yéra'hmiel.
Lorsque la fête fut terminée et que Yéra'hmiel eut quitté la maison, un des fils du Rabbi ne put se retenir, et il interrogea son père.
- "Un juif comme ça qui a mangé dans la même assiette qu'Avraham Avinou, moi aussi je veux avoir le mérite de manger avec lui. C'est pour cela que je l'ai fait venir à Loubavitch et que je l'ai invité …

Traduit de"Mital Hachamaïm" de Mena'hem Siegelbaum.

contacter Aharon Altabé
www.milah.fr