Modeste approche juridique
Recueil Dalloz Sirey 1995, 15éme cahier
Notes C.C.
(...) Et pourtant, ici comme ailleurs, la circoncision n'a pas
fait l'objet d'un procès pénal. Quelles sont les raisons de cette
tolérance?
A coup sûr, la circoncision pratiquée dans un but thérapeutique
est justifiée par la permission de la loi. A l'évidence cela concerne
la circoncision faite dans le but de remédier au phimosis (étroitesse
anormale de l'anneau du prépuce), opération prise naturellement
en charge par la sécurité sociale en France. Plus singulièrement,
dans les pays anglophones, la circoncision a pu être prônée
comme une prévention de l'alcoolisme: une théorie officielle anglaise
de la fin du siècle dernier liant incirconcision, masturbation, alcoolisme
a fait pratiquer une circoncision néonatale de masse pour raisons non
religieuses dans les pays anglophones; si l'abandon de cette théorie
en 1948 a fait largement reculer la pratique en Grande-Bretagne (1 à
2 %), en Australie et au Canada (20 %) elle demeure majoritaire aux USA (60
%) ce qui provoque actuellement de très vives polémiques dans
ce pays.
De manière quelque peu futuriste, le débat pourrait y être
relancé si des enquêtes récentes tendant à démontrer
le caractère prophylactique de la circoncision notamment dans la transmission
du virus HIV 1 du SIDA se confirmaient (cf. M. Erlich, Les mutilations sexuelles,
PUF, colI. " Que sais-je?", 1991, p. 91).
En revanche, peut-on justifier la circoncision rituelle? pratique attestée
dès le III" millénaire avant Jésus-Christ en Egypte et
répandue sur tous les continents où elle touchait en 1991 plus
d'un demi milliard d'hommes (M. Erlich, préc., p. 36 et 37), elle est
le fait en France des juifs qui la revendiquent comme le signe obligé
de l'alliance de l'homme avec Dieu (Genèse 17: 9-14) et des musulmans
qui ont intégré cet usage pré-islamique dans leurs habitudes
religieuses. (…)
Mais ne pourraient-ils pas revendiquer la permission coutumière et/ou
l'erreur de droit? Des arguments de divers ordres peuvent être ici rassemblés
en leur faveur. Constatons d'abord qu'aucune loi, aucun tribunal, aucun auteur
ne s'est jamais prononcé formellement contre la circoncision en France.
La loi française a même admis, certes implicitement, à plusieurs
reprises la circoncision: il y a bien longtemps en ne réprimant que la
circoncision effectuée sur les convertis au judaïsme, plus récemment
en réglementant par les art. 19 et 52 de l'ordonnance royale du 25 mai
1844 l'accès à la fonction de " Mohel" (circonciseur). L'abrogation
de ce texte par l'art. 44-3'; de la loi du 11 déc. 1905 implique seulement
que l'accès à cette fonction est désormais laissée
à l'entière discrétion des Israélites. Par ailleurs,
et cette fois de façon très actuelle, il faut noter que les travaux
préparatoires de l'art. 24, al. 3, de la Convention de l'ONU sur les
droits de l'enfant, ratifiée par la France, qui tend à "abolir
les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé
des enfants", n'ont porté que sur l'excision. De même, toujours
implicitement, la jurisprudence française cautionne elle aussi la circoncision
( cf. TG l Paris, 6 nov. 1973, Gaz.. Pal. 1974.1.299,
(…)
Plus explicitement encore mais dans la jurisprudence belge, une cour d'appel
n'a pas hésité à dire que" la circoncision, en elle-même,
ne représente pas une pratique contraire à l'ordre public international
belge" (CA Liège, ch. jeun, 9 avr. 1981).
Quant à la doctrine française, son silence à ce sujet n'est
rompu que par des prises de position favorables, à une exception près.
Les auteurs constatent sans la critiquer la tolérance dont jouit la circoncision
rituelle (exemple G. Mémeteau, le Droit Médical), admettant parfois
la licéité de celle-ci (F. Dekeuwer-Défossez, Droits des
femmes, Dalloz, 1985, p. 287).
(…)
De surcroît, en pratique, aucun obstacle ne s'est jamais élevé
contre la circoncision rituelle. On peut avancer d'abord le fait que la circoncision
des juifs s'est pratiquée depuis toujours en France, que celle des musulmans
en Afrique du Nord n'a pas ému l'administration française coloniale,
et qu'actuellement les musulmans la perpétuent en France sans clandestinité.
Il ressort d'ailleurs des statistiques fournies par M. Erlich en 1991 qu'en
France il y aurait de 1 à 2 % de circoncis (comme par exemple en Grande-Bretagne,
au Benelux, au Danemark, alors qu'en Espagne, en Italie, en Grèce le
phénomène n'apparaîtrait pas). Il faut souligner ensuite
le fait que le corps médical français n'a pas montré d'ostracisme
à l'égard de cette pratique (contrairement à ce qu'il en
est de l'excision). Si les juifs la font exécuter en principe à
domicile au huitième jour après la naissance par un "Mohel" qui
œuvre d'ailleurs bénévolement, ils n'hésitent pas quand
il peut y avoir danger (enfant hémophile, etc.) à la faire pratiquer
plus tard à l'hôpital. Quant aux musulmans qui ne l'imposent qu'à
partir de l'âge de sept ans, ils la font faire à l'hôpital
où d'ailleurs l'opération leur serait remboursée par la
sécurité sociale, la circoncision étant toujours codifiée
sous le sigle correspondant à l'opération du phimosis (P. Boinot,
préc. p. 417, note 56).
Enfin, il ressort également des faits qu'aucune suite pénale n'est
intervenue contre la circoncision rituelle, aucune poursuite, aucune plainte
même si à trois reprises au moins une responsabilité d'ordre
médical a été retenue. Au début du siècle,
un tribunal civil a estimé engagée la responsabilité du
chirurgien qui avait laissé un candidat à la fonction de "Mohel"
opérer d'un phimosis un non juif, à condition que ce dernier fasse
la preuve d'un préjudice.
Récemment un tribunal administratif a admis la responsabilité
d'un service public hospitalier dans lequel un bébé était
décédé des suites d'une.anesthésie générale
pratiquée à l'occasion d'une circoncision rituelle. Dernièrement
la Cour de cassation a retenu la faute d'un médecin ayant pratiqué
une circoncision rituelle dans des circonstances telles qu'une nécrose
irréversible du gland s'était produite (Cassation, qui esquive
la question soulevée par l'assureur de la qualification de la circoncision
en acte médical ou non, excluant cette faute de la garantie seulement
par l'objet de la police d'assurance souscrite en l'espèce où
le médecin, stomatologue, n'avait pas déclaré ses fonctions
parallèles de "Mohel" ).
Mais tous ces arguments suffisent-ils à constituer une permission coutumière
et/ou une erreur de droit? Pour P. Boinot, la raison de la tolérance
est "d'ordre coutumier" et il distingue à cet égard la circoncision
de l'excision. Pour lui, cette dernière ne peut pas être considérée
comme une coutume car s'il s'agit bien "d'une pratique ancestrale considérée
comme obligatoire par tous les membres du groupe"... "il manque à ce
groupe d'être suffisamment intégré à la communauté
nationale pour que sa loi propre atténue la portée de la norme
générale ". Cependant, même à l'égard de la
circoncision des réserves pourraient être émises. Notons
d'abord la réticence de la cour d'appel en notre affaire. Elle relève
"qu'il est inexact que la pratique soit courante en France " et aussi qu'en
France "l'opinion majoritaire est défavorable à la circoncision
sauf pour une raison médicale",
Méprisée par les Grecs (Hérodote, II,36), combattue par
Saint-Paul qui prône la circoncision dans le cœur plutôt que dans
la chair (Epître aux Romains 2 : 29), cette pratique apparaîtrait
si étrangère à notre civilisation qu'elle ne pourrait en
constituer une coutume. Il ne pourrait s'agir que de la coutume de "minorités".
Or, notre Constitution ne favorise pas la reconnaissance de minorités
en France. Plus fondamentalement encore, on pourrait se demander si même
une véritable coutume pourrait "couvrir" une infraction aussi grave que
les mutilations du corps.
Il est vrai que les exemples donnés de coutumes contra legem admises
paraissent bien anodins en regard de l'excision et de la circoncision : corrida,
combat de coqs, correction manuelle des enfants dont le caractère discrétionnaire
disparaît d'ailleurs.
(…)
S'il n'en était pas ainsi, il faudrait admettre que la tolérance
à l'égard de la circoncision rituelle résiderait tout simplement
dans ce qu'il est convenu d'appeler "les nécessités de la politique
criminelle", comme il en a été de l'avortement peu avant la loi
Veil et comme il en est aujourd'hui de l'euthanasie pratiquée par un
médecin.
II. - C'est dans ce contexte que s'inscrit le présent arrêt de
la Cour de Cassation: saisie pour la première fois, à notre connaissance,
d'un problème de circoncision elle s'est bien gardée de sanctionner
civilement la circoncision en elle-même.
Ce ne sont que les circonstances de celle-ci qui ont pu justifier le retrait
du droit de visite.
(…)
Finalement ne pourrait-on pas estimer que ce geste irréversible ne "guide"
pas l'enfant dans le choix; d'une religion (comme le souhaite l'art. 14, al.
2, de la Convention ONU sur les droits de l'enfant), mais qu'il lui impose pour
la vie entière une connotation physique d'ordre religieux? Ne vaudrait-il
pas mieux, dans tous les cas, qu'il en décide à sa majorité?
Cela apparaîtrait évidemment comme une limite à l'autorité
parentale qui serait peut-être mal perçue si l'on se réfère
à la religion de l'enfant, mais certes pas si l'on se réfère
à l'intégrité physique de l'enfant. Faudrait-il alors interdire
spécialement cette pratique (à l'instar par exemple de la prohibition
pour les mineurs de tous prélèvements d'organes ou essais thérapeutiques
sauf exceptions limitatives)? Ne pourrait-on craindre alors que la clandestinité
de la pratique ne fasse encore plus de ravages (septicémie)?
(…)
contacter
Aharon Altabé
www.milah.fr