Juin 2001

Interview de Aharon Altabé par Actualité Juive, n°411, janvier 1995.

Le huitième jour est il important?
Oui, bien sûr. C'est Celui qui nous a ordonné de circoncire nos garçons qui nous a ordonné de les circoncire le huitième jour, serait ce Chabbat, Yom Tov ou Kippour, lorsque l'enfant est en parfaite santé. De plus l'âme sainte de l'être juif ne commence à habiter le corps qu'après qu'il ait été coupé de son excroissance.
Faut-il rappeler que chaque jour qui passe renforce l'attachement des parents à leur bébé, et la peine qu'ils auront à le voir pleurer si la Brit Milah est effectuée tardivement? Faut-il dire que plus les jours passent et plus le bébé mûrit sur le plan neurologique et ressent la douleur?

Comment compte-t-on le huitième jour?
A.A. : Le huitième Jour se compte au jour de la naissance inclus. Si par exemple un nourrisson naît dimanche soir ou lundi, on comptera lundi comme premier jour, et la Brit Milah sera effectuée le lundi suivant. La journée juive débute à cet effet au coucher du soleil. Il sera important, lorsqu'un enfant naît en fin de soirée, que l'on note soi-même l'heure exacte, sur une montre fiable, car l'heure retenue par les sages-femmes est parfois insuffisamment précise pour que l'on puisse s'y fier. Ceci est encore plus important pour un enfant né vendredi soir ou Chabbat.

Et si la Milah ne peut avoir lieu le huitième jour?
A.A. : Une circoncision avant le huitième jour nécessitera un geste supplémentaire pour lui conférer toute sa valeur religieuse. Une circoncision pratiquée plus tard est valide, mais durant le délai s'écoulant entre le jour où l'enfant est apte à être circoncis et la circoncision, chaque jour, voire chaque heure, est considéré comme une faute.
En pratique, la plupart des enfants nés à terme et de poids supérieur à 2.7 kg sont aptes à être circoncis dès le huitième jour, même après une césarienne, pour peu que la jaunisse physiologique soit en cours de disparition. La notion d'infection, de séjour prolongé en incubateur, de chute pondérale importante non encore compensée, ou d'une affection quelconque doit amener, après consultation du Mohel, à repousser la Brit Milah.
Dans un registre différent, un enfant né par césarienne durant Chabbat ne pourra être circoncis le huitième jour qui tombe Chabbat, de même que l'enfant né par voie naturelle vendredi après-midi Juste après le coucher du soleil, dans un moment qui n'est plus tout à fait vendredi et qui n'est peut-être pas encore Chabbat. A vrai dire, à part les cas évidents, la décision de repousser une Brit Milah ne devrait être prise qu'après consultation du Mohel pressenti pour la circoncision.
Dans la plupart des cas un bilan sanguin de coagulation n'est pas prescrit: L'examen de l'enfant, le dialogue avec les parents, doivent suffire pour assurer l'absence de contre-indications. Ce n'est que dans les cas où l'enfant ne peut être examiné les jours précédents que le Mohel pourra s'aider d'une prise de sang, s'il l'estime nécessaire. Très (trop) souvent parents, médecins et Mohalim sont confrontés à des tests de coagulation ou dosage de la jaunisse limites, douteux ou inquiétants, car effectués trop tôt: Seul un test effectué la veille sinon le jour de la circoncision peut amener à repousser la Brit. Milah pour raison d'anomalie biologique.

Quel est le meilleur moment pour pratiquer la circoncision?
A.A. : Le huitième jour, toute la journée du lever au coucher du soleil!
En pratique, les sages recommandent de circoncire tôt le matin, après l'office, et sinon dans la matinée, lorsque l'air est encore frais! Toutefois l'usage s'est répandu dans de nombreuses communautés d'attendre jusque dans l'après-midi un moment qui permette à une assistance plus nombreuse d'être présente, sur la base que cela amène une joie plus grande à la Mitsvah, et aussi une audience plus grande aux paroles de Torah prononcées à cette occasion. Dans ma modeste expérience je préfère de loin une Milah pratiquée le matin ou à l'heure de la pause de midi, à un moment où les parents, le bébé, les invités et le... Mohel ne sont pas 'encore trop stressés par les visiteurs, le téléphone, les embouteillages, l'attente. La levée du pansement quelques heures après, puis la surveillance par les parents dans les heures suivantes n'en sera que meilleure.

Comment devient on Mohel?
A.A. : Avant tout par un apprentissage complet des lois de la Brit Milah (énoncées dans le Choul'han Aroukh, puis dans les divers ouvrages ultérieurs traitant de la Brit Milah), et des gestes de la Brit Milah, pratique qui ne se conçoit que par un enseignement de terrain dispensé par un Mohel chevronné. Puis - il faut bien un début à tout - en pratiquant la première circoncision... et les suivantes. Il n'existe pas en France d'institution enseignant la Brit Milah, à la différence de la pratique anglaise, ou des possibilités offertes en Israël. Ceci permet de dire qu'il règne une certaine anarchie, l'intronisation n'étant pas, toujours le fait de personnes qualifiées.
Tout homme juif circoncis est apte à pratiquer la circoncision. Nos Sages nous ont cependant recommandé de chercher un Mohel des plus compétents, dont les qualités manuelles sont complétées par des qualités spirituelles élevées. Il est donc naturel qu'à défaut d'une initiation sous la houlette d'une autorité religieuse officielle, les Mohalim ne forment que des candidats auxquels ils trouvent ces qualités.
En pratique, bon nombre de Mohalim se recrutent aux différents étages des fonctions rabbiniques, parmi les membres du corps médical, réputés à tort ou a raison comme mieux qualifiés. Ceci dit, nous avons à Paris des Mohalim qui sont comptables, traiteurs, directeurs d'école.

Un Mohel peut il circoncire n'importe qui?
A.A. : Non, bien sûr! La Mitsvah de Brit Milah confère au père d'un enfant né de mère juive le devoir de circoncire son fils. Le rôle du Mohel est de se substituer au père, sur sa demande pour circoncire un enfant de mère juive, point à la ligne.
Toute autre démarche ne pourrait être accomplie que dans le cadre d'un projet de conversion estampillé par un Tribunal rabbinique qualifié.
Je crois qu'est révolu le temps où l'on s'entendait dire au téléphone par une secrétaire du Consistoire qu'un médecin peut toujours faire la circoncision d'un enfant né d'une mère non juive sans faire les bénédictions! Que des médecins pratiquent sur des non Juifs des circoncisions à titre thérapeutique, cela les concerne, dans la mesure où ils sont médecins. Lorsque ceci est pratiqué à la demande de la famille pour des raisons qui se voudraient religieuses, par des médecins ou des Mohalim, ils sortent du cadre de la Halakha, induisent en erreur et nuisent aux familles, à l'enfant et à la communauté tout entière: on ne devient pas juif par le seul fait de la circoncision, et l'enfant né d'une mère non juive butera sur la Bar Mitsvah, si ce n'est sur le mariage, pour prendre la mesure de l'erreur dans laquelle ses parents l'ont élevé.

Jusqu'à quel âge peut on parler de circoncision rituelle?
A.A. : Tout Juif ayant la Mitsvah d'être circoncis, de se faire circoncire et de ne pas rester incirconcis, il n'y a pas de limite d'âge pour pratiquer une circoncision rituelle: le cas des Juifs des pays de l'Est est là pour nous le rappeler. Bien sûr, il n'est pas souhaitable de circoncire un grand enfant ou un adulte dans les mêmes circonstances conviviales qu'un nourrisson. Nous leur proposons une circoncision en milieu chirurgical, par un Mohel qualifié, permettant d'apporter la garantie religieuse comme la garantie médicale à ces circoncisions un peu particulières.
Il serait dangereux de circoncire un nouveau né à l'hopital, compte tenu des risques inhérents: infections nosocomiales, risque liés à l'anesthésie, pratique lourde et instrumentalisée au delà du nécessaire. Il me semble qu'un Mohel entraîné peut circoncire de façon traditionnelle jusque vers 6 mois, voire plus si les circonstances l'exigent.
Plus grand, l'enfant sera circoncis sous anesthésie générale, l'adulte et le grand enfant coopératif sous anesthésie locale, permettant la sortie immédiate de l'hôpital, et la reprise du travail sous 48 heures.

Qui garantit le sérieux d'un Mohel?
A.A. : Le Mohel doit apporter un savoir-faire, une rigueur dans l'asepsie, qui conditionnent la qualité de l'acte, un savoir de Halakha et un comportement vis à vis de la loi et des hommes qui font sa compétence religieuse. Si de plus, il présente bien, chante les pyoutim de chez vous avec l'accent correct et a un sens aigu des relations publiques, il a quelques atouts de plus.
Or, ni les diplômes de Mohel ou d'une quelconque faculté, ni le titres de rabbin, ni surtout les facilités de relation publiques et la réputation ne peuvent garantir tout cela à la fois. Une éphémère association de Mohalim a bien essayé de regrouper des praticiens s'engageant à ne pas circoncire des enfants non juifs et à ne pas présenter d'exigence financière, ce qui aurait déjà constitué un gage de sérieux non négligeable, en l'état actuel, où tout peut se voir. Malheureusement l'accueil fait par l'institution en place n'a pas permis à cette tentative d'aboutir, et le Consistoire de Paris qui projetait, projette, projetterait, projettera de mettre en place une commission d'éthique des Mohalim en a demandé la dissolution.
L'idéal eût été qu'une autorité religieuse hors de tout conflit d'école ou d'intérêt donne son agrément aux Mohalim. Elle aurait permis de rectifier l'image du Mohel dans la communauté, être à l'écoute du public qui a parfois son mot à dire, éclaircir certaines pratiques, évaluer la pratique des Mohalim. En attendant, il reste au public le bouche à oreille, les publicités parfois extravagantes des petites lignes.
Tel Mohel non médecin a pu se faire passer pour un médecin, se conduire de façon indélicate avec les mamans qu'il visite, et ce malgré plusieurs avertissements de rabbins de son entourage. Empêcher de tels agissements ne semble avoir été ni de la compétence du Consistoire de Paris, ni du Beth Din. Une autorité représentant les Mohalim aurait certainement pu prendre une position publique. En l'absence d'une autorité courageuse, qui saura avertir le public que cet homme n'a pas les qualités que l'on attend d'un Mohel?

Vous parliez d'exigence financière?
AA. : La rumeur publique, et parfois des plaintes reçues par des autorités religieuses, font état de certains tarifs imposés par des Mohalim, qui placent cette Mitsvah au hit parade des dépenses des parents. Je ne sais pour ma part ni qui, ni combien. Il semble que la réputation se paye, et c'est tout.
Certains Mohalim, à l'opposé, mettent un point d'honneur à ne pas demander, voire à ne pas recevoir d'argent. Le vétéran des Mohalim de Paris a raconté qu'un jour il avait même offert de l'argent à un papa pour organiser une Brit Milah qu'il devait faire... mais on n'était pas venu le chercher et il n'avait jamais revu le papa.
Entre ces deux attitudes,... les autres.
Remercions D' de nous avoir donné une Mitsvah aussi marquante que la Brit Milah, et de nous avoir donné quelque part des compétences dans cet art. Peut-être pourrait-on faire avancer le débat en jaugeant quelles sont les contraintes imposées à un Mohel pour les déplacements qu'il a à effectuer pour examiner préalablement un nourrisson, pour effectuer la Milah, revoir l'enfant, le temps passé, les perturbations professionnelles que cela entraîne s'il est un actif, ses absences familiales, et plus encore la responsabilité qu'il prend pour un geste que tous considèrent comme anodin. Je conçois qu'il faille soit être bien convaincu de l'importance de la Mitsvah, soit aspirer à de bonnes compensations, soit un peu de l'un et de l'autre pour se risquer à être Mohel.
J'ai récemment eu à remplacer au dernier moment un confrère médecin et Mohel, qui ne pouvait prendre une Brit Milah ce jour férié, car il était de garde: combien de gardes aurait-il dû refuser depuis quinze ans pour effectuer cette Brit Milah ce jour là? Aurait-il été dédommagé en conséquence?
Autre thème de cette approche : des parents se sont refusés à pratiquer une Brit Milah le huitième jour, ils souhaitent une Brit Milah à leur convenance un dimanche. Il ne me semble pas démesuré qu'un Mohel souhaite dans un tel cas une rémunération à sa convenance, et pourquoi pas proportionnelle à la hauteur de la pièce montée et au nombre de musiciens de l'orchestre!

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