Michel de Montaigne.
Journal de voyage ... en Italie
avec des notes par M. de Querlon, 1774
Montaigne assiste à une circoncision

Rome
Le trentième [de janvier 1581], il fut voir la plus ancienne cérémonie de religion qui soit parmi les hommes. et la considéra fort attentivement et avec grande commodité: c'est la circoncision des Juifs.

Ca c'est pas à Rome, c'est  en Hollande! Tableau de Picart.Elle se fait aux maisons privées, en la chambre du logis de l'enfant la plus commode et la plus claire. Là où il fut, parce que le logis était incommode, la cérémonie se fit à l'entrée de la porte. Ils donnent aux enfants un parrain et une marraine, comme nous: le père nomme l'enfant. Ils les circoncisent le huitième jour de sa naissance. Le parrain s'assit sur une table, et met un oreiller sur son giron: la marraine lui porte là l'enfant, et puis s'en va.

L'enfant est enveloppé à notre mode; le parrain le développe par le bas, et lors les assistants, et celui qui doit faire l'opération, commencent trestous (a) à chanter, et accompagner de chansons toute cette action qui dure un petit quart d'heure. Le ministre peut être autre que rabbi (b), et quiconque ce soit d'entre eux, chacun désire être appelé à cet office, parce qu'ils tiennent que c'est une grande bénédiction d'y être souvent employé: voire ils achètent d'y être conviés, offrent, qui un vêtement, qui quelque autre commodité à l'enfant. et tiennent que celui qui en a circoncis jusqu'à certain nombre qu'ils savent, étant mort, a ce privilège que les parties de la bouche ne sont jamais mangées des vers. Sur la table, où est assis ce parrain, il y a quant-et-quant (c) un grand apprêt de tous les outils qu'il faut à cette opération. Outre cela, un homme tient en ses mains une fiole pleine de vin et un verre.

Il y a aussi un brasier à terre, auquel brasier ce ministre chauffe premièrement ses mains, et puis, trouvant cet enfant tout détroussé (d), comme le parrain le tient sur son giron la tête envers soi, il lui prend son membre, et retire à soi la peau qui est au-dessus, d'une main, poussant de l'autre la gland (e) et le membre au-dedans. Au bout de cette peau qu'il tient vers ladite gland, il met un instrument d'argent qui arrête là cette peau, et empêche que le tranchant ne vienne à offenser la gland et la chair. Après cela d'un couteau, il tranche cette peau, laquelle on enterre soudain dans de la terre, qui est là dans un bassin parmi les autres apprêts de ce mystère. Après cela le ministre vient, à belles ongles, à froisser encore quelque autre petite pellicule qui est sur cette gland et la déchire à force, et la pousse en arrière au-delà de la gland. Il semble qu'il y ait beaucoup d'effort en cela et de douleur: toutefois ils n'y trouvent nul danger, et en est toujours la plaie guérie en quatre ou cinq jours. Le cri de l'enfant est pareil aux nôtres qu'on baptise. Soudain (f) que cette gland est ainsi découverte, on offre hâtivement du vin au ministre qui en met un peu à la bouche, et s'en va ainsi sucer la gland de cet enfant, toute sanglante, et rend le sang qu'il en a retiré, et incontinent reprend autant de vin jusqu'à trois fois. Cela fait on lui offre. dans un petit cornet de papier, d'une poudre rouge qu'ils disent être du sang de dragon (g), de quoi il sale et couvre toute cette plaie, et puis enveloppe bien proprement le membre de cet enfant à tout (h) des linges taillés tout exprès.

Cela fait, on lui donne un verre plein de vin, lequel vin. par quelques oraisons qu'il fait, ils disent qu'il bénit. Il en prend une gorgée, et puis. y trempant le doigt, en porte par trois fois à tout (h) le doigt quelque goutte à sucer en la 'bouche de l'enfant: et ce verre après, en ce même état, on l'envoie à la mère et femmes qui sont en quelque autre endroit du logis, pour boire ce qui reste de vin. Outre cela, un tiers prend un instrument d'argent. rond comme un oeuf (i), qui se tient à une longue queue, lequel instrument est percé de petits trous comme nos cassolettes, et le porte au nez premièrement du ministre, et puis de l'enfant, et puis du parrain: ils présupposent que ce sont des odeurs, pour fortifier et éclaircir les esprits à la dévotion.

(a) Tous sans exception.
(b) rabbin.
(c) Aussi.
(d) Déshabillé
(e) Nous disons: le; mais Montaigne conserve ordinairement en français le genre des mots latin, comme celui de glans, qui est féminin.
(f) Aussitôt.
(g) Substance résineuse qui découle d'un arbre et dont il y a quatre espèces.
(h) Avec.
(i) Une balle.

Les notes en italique sont de l'éditeur du manuscrit.

Le regard des autres

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